"En Irak, sous le jeune Saddam Hussein, j’ai été chargé « par un hasard de circonstances » de défendre les intérêts américains à une période de rupture de relations diplomatiques USA-Irak, et où mon pays avait accepté d’héberger les intérêts américains sous le drapeau belge"

Le 1er octobre 2014, Renier Nijskens sera déchargé de ses fonctions d'Ambassadeur de Belgique dans la République fédérale d'Allemagne et prendra sa retraite de services diplomatiques de Belgique, après  40 ans de carrière durant laquelle il a séjourné et visité presque tous les continents. De 25 ans à 65 ans, il a été en poste diplomatique tour à tour en Irak, deux fois en RD Congo, au Koweit, en Tunisie, au Canada, au Niger, au Kenya, aux Seychelles, en Corée du Sud et en Allemagne. Sur les dix pays où il a été accrédité, cinq pays sont africains. Au niveau du ministère des affaires étrangères de Belgique, il a exercé les fonctions de directeur de la section Afrique. Renier Nijskens a également été représentant régional de l’Institut Néerlandais pour le soutien à la Démocratie Multipartite (NIMD) basé principalement en Afrique

Curieusement, Renier Nijskens a été affecté deux fois en RD Congo, où il avait été déclaré persona non grata en 1978 par le régime Mobutiste et où il avait été affecté de nouveau en novembre 2000 comme Ambassadeur plénipotentiaire et extraordinaire de Sa Majesté le Roi des Beges, soit deux ans après le déclenchement de la guerre contre Laurent Désiré Kabila par ses anciens alliés. Le 20 novembre 2000, Renier Nijskens avait présenté ses lettres de créance au président Laurent Désiré Kabila qui sera assassiné le 16 janvier 2001. La confirmation du décès de Laurent Désiré Kabila a été officiellement faite sur la Radio France Internationale par Louis Michel, alors ministre belge des Affaires Étrangères, naturellement et constamment en contact avec Renier Nijskens installé, pour cette circonstance sui generis, pendant quelques jours, à l’appartement de crise abrité par le bâtiment de l’Ambassade de Belgique à Kinshasa, sis place du 27 octobre/Commune de la Gombe.  Ce chevronné diplomate belge et l’ambassadeur de l’Angola en RD Congo Son Excellence Joao Batista Mawete étaient parmi les premiers visiteurs dont les noms étaient inscrits dans le tout  premier agenda du nouveau président Joseph Kabila. Des acteurs importants dans le contexte de situation délicate et complexe en RD Congo. Renier Nijskens a laissé ses empreintes dans les travaux préparatoires au dialogue intercongolais. Il a participé à la conception de la rencontre de Bruxelles au Palais d’Egmond entre l’opposition non armée et la société civile congolaises, en janvier 2002. Ce petit fils d’un ancien gouverneur général du Congo Belge a été un témoin privilégié de grands moments dans le déroulement du dialogue intercongolais à Sun City en Afrique du Sud ainsi que de la signature de l’Accord partiel de l’Hôtel Cascade et l’Accord global et inclusif en avril 2003. Renier Nijskens avait représenté efficacement la Belgique au sein du Comité international de l’accompagnement de la transition (CIAT).

En RD Congo, singulièrement, son ardeur dans le déploiement des activités socioculturelles et ses multiples interventions en milieux de jeunes et estudiantins  avaient dépassé positivement les limites de ses fonctions diplomatiques  pour se transformer en une passion pour ce pays et une compassion pour le peuple congolais.

On dit, très souvent, qu‘un diplomate meurt diplomate. Il disparait certainement avec beaucoup de secrets dont il souffre, des fois, intérieurement. Mais, il est aussi vrai qu’en allant à la rétraite, un diplomate de carrière comme Renier Nijskens ferait mieux de se décharger un peu la tête en écrivant ou en dévoilant publiquement ses mémoires, quelques situations ou faits historiques majeurs.

Depuis 1974, date de son engagement aux services diplomatiques belges, jusqu’à ce jour, Renier Nijskens a presque fait le tour du monde en polyglote pratiquant l’allemand, l‘anglais, le francais, l’arabe, le swahili, etc. En toute liberté et indépendance, il répond, en francais, aux questions de «Cent Tambours Mille Trompettes“

 

PREMIÈRE PARTIE: RENIER NIJSKENS FACE AU MONDE

« … j’ai trouvé fort stimulant de pouvoir peser sur certaines décisions, et de constater que le rayonnement et l’impact de l’action de la Belgique dépassaient souvent son poids objectif sur la scène internationale.»

Cent Tambours Mille Trompettes:  A partir du 1er octobre 2014, conformément à l’arrêté royal du 1er décembre 2013, vous serez  déchargé de vos fonctions d'Ambassadeur de Belgique dans la République fédérale d'Allemagne et prendrez votre retraite de services diplomatiques de Belgique, après  40 ans de carrière en séjournant et visitant, dans tous les sens, l’Europe, votre continent de naissance et d’appartenance, l’Afrique, l’Amérique et l’Asie. Quelles auront été vos contributions pour le changement positif de certains aspects de la vie internationale, en bilatéral et en multilatéral?

Renier Nijskens: Tout au long de ma carrière diplomatique, ma contribution professionnelle a tout d’abord et essentiellement été orientée vers la défense et la promotion des intérêts belges sur tous les plans, que ce soit en bilatéral ou en multilatéral. Ce faisant, j’ai trouvé fort stimulant de pouvoir peser sur certaines décisions, et de constater que le rayonnement et l’impact de l’action de la Belgique dépassaient souvent son poids objectif sur la scène internationale.

CTMT:  Au-delà de toutes les théories classiques sur les relations internationales, représenter un État dans un État pose de défis, mais en même temps présente des opportunités. Comment gérer cette situation ?

RN: Mon code professionnel s’est conformé à la règle selon laquelle le diplomate doit en toutes circonstances pouvoir mettre à profit les opportunités qui se présentent, tout en veillant à respecter le principe sacro-saint de non-immixtion dans la Souveraineté du pays d’accueil. J’ai découvert graduellement l’importance capitale de pouvoir nouer des relations humaines impliquant la sincérité des propos et une infatigable volonté d’écoute.

« Au Zaïre mobutiste, j’ai été frappé par l’hypnose que le dictateur parvenait à appliquer à une population qu’il vouait à l’appauvrissement en muselant les libertés , en détruisant les réseaux d’enseignement et les infrastructures de production, et en s’appropriant les richesses du  pays sous couvert de la crise des cours de matière premières. »

CTMT: Quels sont les plus grands profits de votre passage en Irak, deux fois en RD Congo, au Koweit, en Tunisie, au Canada, au Niger, au Kenya, aux Seychelles, en Corée du Sud et en Allemagne?

RN: Chacune de mes missions fort variées à tous égards d’ailleurs, m’a laissé des souvenirs marquants :

En Irak, sous le jeune Saddam Hussein, j’ai été chargé « par un hasard de circonstances » de défendre les intérêts américains à une période de rupture de relations diplomatiques USA-Irak, et où mon pays avait accepté d’héberger les intérêts américains sous le drapeau belge.

Au Zaïre mobutiste, j’ai été frappé par l’hypnose que le dictateur parvenait à appliquer à une population qu’il vouait à l’appauvrissement en muselant les libertés , en détruisant les réseaux d’enseignement et les infrastructures de production, et en s’appropriant les richesses du  pays sous couvert de la crise des cours de matière premières.

Au Koweït, j’ai découvert une société en mutation rapide avec un pouvoir qui veillait à la fois à répartir la richesse soudaine du pétrole à sa population et à prévoir un fonds de réserves pour les générations futures.

Le Canada m’a marqué par son sens d’accueil, comme une société ouverte dynamique, qui aimait se remettre en cause et menait une politique active de multiculturalisme.

Au Niger, j’ai compris combien la nature et le climat pouvaient compliquer les chances de prospérité, même à des populations laborieuses : là, survivre est un concept qui ne laisse pas de place à l’erreur.  Je suis fier des efforts importants de coopération que la Belgique a menés pour les plus démunis avec un suivi personnel du Roi Baudouin.

Au Kenya, le réveil d’une société civile patriotique m’a épaté. Le président Moi doit être félicité pour son ouverture aux changements vers la démocratie multipartite.

La Corée du Sud me laissera le souvenir d’une ruche bourdonnante d’activités et de développement réel.  Il est à peine croyable que ce pays figurait encore en 1976 parmi les bénéficiaires de notre coopération au développement ! J’ai d’ailleurs eu le privilège étonnant, en rendant visite à une école de formation professionnelle mise sur pied par notre coopération, de découvrir le premier projet de notre coopération qui, au lieu de péricliter après son transfert au partenaire local, s’était agrandi et développé au point d’être devenu un institut de référence dans son secteur.

L’Allemagne voisine, proche, partenaire, co-fondateur avec nous de l’Union Européenne, impressionne par la très large communauté d’approche sur les grands défis de société : vieillissement, compétitivité, modèle social, etc.  C’est sans doute  là un des vrais secrets de la réussite allemande, un fort contraste avec tant d’autres nations rongées par des divisions internes sur les choix de société.

« Au Niger, j’ai compris combien la nature et le climat pouvaient compliquer les chances de prospérité, même à des populations laborieuses : là, survivre est un concept qui ne laisse pas de place à l’erreur.  Je suis fier des efforts importants de coopération que la Belgique a menés pour les plus démunis avec un suivi personnel du Roi Baudouin. »